Moins c’est plus

Les écrivains savent une chose que les citoyens semblent ignorer: moins, c’est plus.
Ecrire bien, ce n’est pas ajouter mais soustraire. Le rabot fut toujours l’ami des grands textes. Or le malheur veut que notre peuple, saisi de folie compulsive, adresse sans cesse aux politiques des demandes qui se traduisent par du plus: plus de flics, de profs, de lois en vrac, de réglementations omnidirectionnelles, d’économies, d’indignation, de réactions. La croyance dingue s’est répandue que le plus allait forcément donner du mieux; comme si le moins n’avait pas ses vertus.
Alors soyons barjos jusqu’au bout: exigeons davantage de lois de manière à ce qu’elles deviennent définitivement confuses et inefficaces !
Affirmons que le lien est évident – et surtout le facteur clef – entre la qualité de l’enseignement et le nombre d’élèves par prof!
Réclamons en cœur la fermeture immédiate des amphithéâtres des facs ! Pensez un peu: quatre cents élèves pour un prof! Le début de la nullité!
Trépignons de joie en constatant que le niveau scolaire monte depuis des décennies: la Nation n’a-t-elle pas augmenté massivement les deniers alloués à l’Éducation nationale? Soyons lucides sur les structures administratives de ce pays soi-disant cartésien – et recommandons de toute urgence la création d’un échelon supplémentaire pour coiffer la commune, la communauté de communes, le département, le canton et la région! Vite, plus d’administrations pour plus d’efficacité!
Et surtout, n’hésitons pas à réclamer la création d’armées de CRS dans nos cités! Afin que la tension baisse… Sans oublier de chanter les louanges de taxes supplémentaires sur le tabac qui, avec un peu de chance, stimuleront la contrebande de cigarettes franchement dangereuses! Vite, des taxes en rafales, des règles!

Le bonheur humain ne passe-t-il pas par l’obsession de la réduction des risques en tout genre? D’où vient que, dans tant de cas, le plus ait produit du moins?

Il me semble parfois qu’accroître les moyens d’une organisation – Éducation nationale ou autre l’empêche de remettre en question ses méthodes. Seul le moins paraît contraindre un grand système à revoir l’efficacité de ses pratiques; peut-être parce que personne ne se remet en question de gaieté de cœur.

Personne! Le moins n’oblige-t-il pas à penser autrement, à dire non aux intérêts catégoriels et à la puissance de la routine?
Le moins reste, hélas! l’occasion de prendre conscience que le plus, rassurant et lénitif, est souvent une illusion.

Ce matin, à l’entrée de l’école maternelle de ma fille, une petiote sanglotait dans les bras d’une mère déboussolée, incapable de la quitter. Plus elle serrait son enfant pour la consoler, plus la gamine se contractait. Cette maman ne voyait pas que le problème, c’était sa solution! A peine avait-elle tourné les talons que la fillette éplorée se requinqua.

Nos amis les politiques me font penser à cette maman: leurs solutions constituent si souvent nos problèmes… Combien de destins enlisés par le RMI, qu’il nous faut à présent troquer contre l’astucieux RSA ? Combien d’êtres désemparés – pour ne pas dire pire – par un départ en retraite couperet vécu comme une mise au rebut? Combien d’entreprises désorganisées par notre législation aveugle sur l’immigration? Combien d’étudiants fracassés par des cursus pléthoriques qui ne mènent â aucun métier sinon à celui d’être déçu et malheureux? Alors, bien sûr, ce que je dis n’est pas valable pour tout sujet et en tout lieu; mais quelle idée le serait?

L’honnêteté oblige à dire que souvent le plus manque cruellement: minima sociaux bien bas, petites retraites bien maigres, infirmières trop rares… En période de fort tangage de la planète finance il ne se trouvera pas grand monde pour dénier à l’État l’obligation de monter au créneau.

Avec un bémol: prenons garde que plus de règles dans un secteur déjà surréglementé ne se retourne pas contre nous par des effets induits mal maîtrisés.

Mais l’envie tripale me vient de crier à nos élus: cessez de vous ruer vers des réponses forcément numériques ! Arrêtez d’aggraver nos problèmes par vos solutions! Cessez d’être le problème avec vos gros doigts! Apprenez à vous abstenir, à brider vos annonces, à méditer la question difficile des pratiques. Soyez sourds à nos demandes aveugles.

Répondez à nos problèmes, pas à nos angoisses. Méditez les vertus du moins!
Bref, soyez stratèges et non urgentistes.

Alexandre Jardin

SÉLECTION – selectioncllc.com 02/09