Peut-on être heureux dans un monde en crise ?

Fernand Scwartz
[quote]Chacun d’entre nous est confronté tout au long de son existence à des crises, qui remettent en cause nos certitudes, notre confort, notre sys-tème de pensée et de croyance. Comment en sortir ? Par l’attitude philosophique consistant à mettre en place une action et un comportement justes pour retrouver l’harmonie et l’équilibre.[/quote]
Sur notre chemin, surgissent régulièrement des obstacles et des évènements non désirés. Ils provo-quent parfois un état de crise et nous amènent à nous questionner.


Qu’est ce qu’une crise ?

La crise est une rupture d’équilibre. Le modèle habituel qui a servi pour travailler, agir dans la vie quotidienne, entrer en rapport avec soi-même et autrui, ne fonctionne plus et ne donne plus les résul-tats escomptés. La crise vient du fait que nous sommes devenus figés et immobiles à l’intérieur de nous. Dès qu’une vraie crise s’annonce nous ne pouvons plus agir par habitude ou par confort. Nous devons changer.
Pour les Grecs crisis veut dire décision. La crise est un événement qui exige de prendre une décision, dans une période importante, voire périlleuse pour nous-même et notre existence. C’est un acte volon-taire de réflexion et non pas un acte impulsif. Il faut agir en prenant les bonnes décisions, même si cela exige parfois de supporter des situations peu agréables ou que l’on n’aime pas.

À quoi servent les crises ?

Face à la crise, nous pouvons réagir de deux façons : Soit nous paniquons, perdons nos moyens et devenons vulnérables et ce sont l’adversité, les nécessités et les circonstances qui nous emportent et nous égarent ; soit nous développons une attitude plus profonde, calme, enracinée et parfois même impartiale, nous permettant de nous concentrer et de nous stabiliser, de mieux nous connaître, de re-trouver la confiance en soi et dans les autres. Nous serons donc moins vulnérables.
Nous avons en nous deux systèmes d’adaptation. Le premier est biologique, mécanique, c’est l’instinct de conservation qui nous permet des adaptations impressionnantes mais déjà presque programmées.
Le deuxième système est le réseau de l’intelligence, «l’Esprit» disaient les Anciens. L’esprit vient de souffle. Il faut souffler pour respirer, pour sortir de l’étouffement, pour penser et agir. Il faut mobiliser notre esprit, faire appel à cette créativité que nous avons en nous-mêmes pour faire tomber les rigidités dues à nos cloisonnements et retrouver la volonté de vivre.
L’intelligence, c’est la faculté d’être en résonance avec une chose, trouver son esprit, sa loi, sa propre identité. L’intelligence peut alors aller beaucoup plus loin, elle peut nous faire capter, percevoir des choses au-delà de la simple spéculation.
Parfois certains problèmes n’ont pas de solution, en tout cas pas celle que l’on aimerait. Il faut accep-ter cette réalité et changer notre regard sur les choses.

Un changement de regard.

La vie n’est jamais ni toute rose ni toute noire et les choses ne sont jamais aussi opposées les unes aux autres. Si certains problèmes n’ont pas de solution, nous devons essayer de comprendre et d’agir. Pour répondre aux Stoïciens, Jorge Livraga disait. «Il ne suffit pas de changer le monde, il suffit simple-ment de changer la perspective.» Si nous pouvons changer notre perspective, notre rapport aux cir-constances, nous pouvons envisager les choses autrement pour trouver la bonne position et la bonne orientation.
Ainsi, quand nous nous sommes recentrés, quand nous avons changé notre regard et notre manière de voir, nous sommes capables de voir les choses autrement et d’acquérir une flexibilité, une adaptabilité face à nos raideurs.
Éviter la crise n’est pas toujours possible. S’y préparer à l’avance, avec lucidité, confiance en soi, c’est toujours mieux. Il faut penser à l’impensable, accepter que l’impensable puisse arriver et alors l’impensable devient plus compréhensible. Personne ne pensait à l’écroulement du mur de Berlin et pourtant il est tombé. Les Romains n’imaginaient pas que leur empire allait s’écrouler et il s’est pourtant effondré. Il faut donc penser l’impensable sans être fataliste ni catastrophique. Il faut accepter des philosophies d’actions différentes. Cela nous oblige à revoir nos critères, nos options, nos valeurs, notre façon d’apprendre le monde, de le connaître, de rentrer en relation avec lui.


Que se passe-t-il en cas de crise ?

En cas de crise, nous passons par quatre phases :

La première, c’est le choc puisque l’on ne l’attendait pas. Si nous sommes suffisamment forts malgré le choc, nous résistons.
La seconde étape est celle de la défense, du retrait, du repli sur soi, c’est instinctif. Ensuite nous avons envie de continuer à agir comme avant. Mais nous devons examiner les dysfonctionnements, nous remettre en question et étudier ce qu’il faut garder et changer. Et le changement est obligatoire puis-qu’il y a crise.
La troisième étape est celle de l’acceptation de la réalité telle qu’elle est pour pouvoir agir sur elle.
Enfin la quatrième phase est celle de l’adaptation et du changement dans laquelle arrive un nouveau mode de fonctionnement. Et cela peut prendre du temps.

Qu’apporte la philosophie en cas de crise ?

La philosophie permet de s’élever au-dessus des contraintes, des circonstances, pour pouvoir les re-garder d’un point de vue plus élevé et dans leur ensemble et prendre de la distance.
L’objectif est de voir la situation dans sa globalité, c’est-à-dire, voir ce qui nous arrange et nous dé-range. Il va falloir intégrer et relier ces deux facettes contraires pour trouver le bonheur. Le bonheur arrive donc non pas parce que les choses se sont arrangées mais parce que l’on a compris comment faire en reliant les choses entre elles au lieu de les opposer.
Selon Socrate, notre ennemi fondamental n’est pas l’ignorance, mais l’ignorance sans besoin de chan-gement intérieur. Si nous acceptons notre ignorance, nous pouvons nous changer nous-mêmes. Sortir de l’ignorance permet de constater qu’aucun bonheur durable ne peut dépendre d’autrui ou d’une chose. Si l’on conditionne son bonheur à ce que l’on doit posséder, on peut le perdre.
Les grecs appelaient donc eudaemonia le bonheur des philosophes, cet état d’être, indépendamment des situations que l’on vit. Les conditions de ce bonheur impliquent une formation de soi.

La recherche du bonheur

Il faut apprendre à développer l’action et le comportement justes en mettant en avant certaines vertus et qualités. La première vertu est le courage, celui de se remettre en question et de changer ses pers-pectives. Au courage s’ajoutent la tempérance et une certaine forme de prudence, c’est-à-dire la sa-gesse d’agir avec mesure dans l’existence, pratiquer ce qui est juste, équilibré, comme dirait Socrate. Trouver la voie pour retrouver l’harmonie et l’équilibre.
Une autre qualité est la pietas qui est le devoir librement consenti envers autrui et non pas le devoir par contrainte. Faire son devoir, c’est faire ce qui est nécessaire pour sortir de la crise.
Ainsi le bonheur ne dépend pas des circonstances mais de soi, des vertus et des qualités que l’on déve-loppe face à l’adversité, de la prise en main de son propre destin, de la confiance en soi.
Si nous pouvons réaliser tout cela, alors oui nous pouvons être heureux dans un monde en crise.

Fernand Schwarz